« Parle-moi encore de lui. »
Arthur soupira. Impossible de se reposer. Le gosse ne le lâchait pas. Comment faisait-il, pour tenir ? Les nerfs, sans doute. L'habitude. Un peu d'alcool, aussi.
« Écoute, s'emporta-t-il tout à coup, ton Rimbaud, je commence à en avoir assez. Dis-toi bien que tout ce que tu as lu n'est qu'illusion. Tu comprends ? Rien que de l'illusion. La vie, la vraie, elle est ailleurs, comme sur ce chalutier, par exemple. Si Rimbaud a écrit tous ces poèmes, c'est uniquement parce qu'il ne parvenait pas à s'adapter. Pour lui, ce ne fut qu'une question de survie. C'est pour cela qu'il symbolise si bien l'adolescence. Le véritable chef-d'oeuvre, vois-tu, c'est d'être heureux. Quand on y parvient, je te prie de croire que l'on a plus du tout envie d'écrire. On y pense même plus. On est heureux, c'est tout. On n'a besoin de rien d'autre. Ou alors, ce que l'on écrit est d'une telle fadeur... Sans la souffrance, plus de génie. Tu comprends ce que cela signifie ? »
Le gosse ne comprenait pas. Il regardait Arthur, les yeux pleins d'étonnement. Le ton de la voix avait changé.
« Dis, tu comprends ce que cela signifie ? » répétait Arthur.
Non, décidément, le gosse ne comprenait pas. Il ne voyait pas du tout où son ami voulait en venir. Ou alors, peut-être...
« Tu veux dire que sans souffrance on ne peut arriver à rien ? Tu veux dire que sans souffrance on est condamné à n'avoir au mieux que du talent ?
- Quoi que tu puisses espérer, gamin, continuait déjà Arthur, la littérature ne peut devenir une seconde mère. Jamais. Qu'est-ce que tu fais là, sur ce chalutier ? Ta mère, elle vit encore, non ? Alors pourquoi n'es-tu pas près d'elle ? C'est n'importe quoi. »
Le gosse pâlit. Qu'avait-il dit ? Qu'avait-il fait pour qu'Arthur change ainsi brusquement d'attitude envers lui ?
« Il y a quelque chose que je dois encore t'avouer, déclara Arthur. Tout ce que je t'ai dit sur Rimbaud est faux. Mon grand-père ne l'a jamais connu. Le manuscrit n'existe pas. Les poèmes sont de moi. Je ne sais pas pourquoi j'ai agi de cette façon. Je te demande pardon. »
Le gosse s'écroula sur sa couchette et éclata en sanglots.
« Allons, dit Arthur en se rapprochant, ne pleure pas. Je ne voulais pas te faire de mal. Je voulais te faire comprendre certaines choses. Je voulais... Enfin, je ne sais plus ce que je voulais. Moi aussi j'ai eu un père violent. Alors je me suis inventé cette histoire. On s'invente toujours des histoires quand on est malheureux, même les plus folles. J'ai fini par y croire. Tu m'en veux beaucoup, de t'avoir menti ?
- Non, Arthur, je ne t'en veux pas. Ce n'est pas pour cela que je pleure. Je pleure, parce que tu viens de me demander pardon. C'est la première fois que quelqu'un me demande pardon. »
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