Résumé
Reclus dans leurs tranchées, des soldats de la Grande Guerre prirent la plume à l'occasion d'un concours littéraire initié par l'Armée. Chacun à leur manière, ils racontèrent alors une histoire, leur histoire, marquée au fer de leur quotidien.
Au fil de récits très personnels, mettant en scène des hommes ordinaires confrontés à une expérience " extraordinaire ", vivent et revivent ainsi des lieux, un temps, un univers rythmés par une succession incessante de grands drames et de petites joies.
Extrait(s)
Note de l'éditeur
"Tu vois, s'il n'y avait qu?un seul livre à sauver dans ma bibliothèque, ce serait celui-ci?", me dit un jour mon grand-père, en saisissant précautionneusement un volume à la reliure pourpre défraîchie sur l'étagère centrale. Lourd d'une mémoire qu'il s'apprêtait à me confier, le livre était comme un prolongement de sa main, sang d'encre et chair de papier, qu'il soupesait avec une émotion tendre et grave.
Après un silence, mon grand-père reprit :
"Eh bien voilà ! Ce livre rassemble une série de nouvelles écrites par les soldats de la Grande Guerre, fruits d'un concours littéraire organisé par l'Armée. Et ce recueil contient un texte de mon frère tombé à Bezonvaux, près de Verdun, en 1916."
Il marqua une nouvelle pause, attentif à des souvenirs et des images dont je sentais qu'il voulait me faire le dépositaire.
" Tu sais combien j'aimais mon frère, que tu connais bien pour t'avoir déjà tant parlé de lui. Tu sais aussi qu'après sa mort, j'ai épousé sa femme, qui est devenue ta grand-mère. L'Histoire a bouleversé notre histoire, et tu es là, à m'écouter. Tant de peine pour tant de joies, c'est un mystère et un miracle. Je suis si heureux de te les faire partager. Ce livre sera pour toi... il est à toi."
Le recueil passa de sa main à la mienne. Plusieurs documents - une carte-correspondance des Armées (datée du 16 décembre 1916), une photographie de l'ossuaire de Douaumont, quelques coupures de presse et autres notes de lecture - étaient glissés à hauteur de la nouvelle de son frère, dont je pris connaissance sur le champ, sans en saisir alors toute la portée.
Ce n'est que bien plus tard que j'entrepris la lecture complète de l'ouvrage, fort d'une distance permettant de moduler ce qui relevait de l'histoire familiale et ce qui découlait de la grande histoire. Remis dans son contexte, le récit de mon grand-oncle m'apparut alors dans toute sa plénitude : le témoignage d'un humaniste dont la culture, les valeurs et la liberté d'esprit n'avaient pas été broyées par la guerre. L'homme préservé y délivrait une parole singulière qui, à l'instar de celle de ses compagnons d'infortune, donnait aux mots leur pleine densité.
Doublement porté par la " généalogie " et l'Histoire, l'idée incontournable d'une réédition de ces ouvres s'est ainsi peu à peu imposée à moi. Parce que le devoir de mémoire est indissociablement lié à la transmission du témoignage, qui nous enjoint d'être tous des passeurs.
Que serions-nous hors de cette chaîne vivante, sinon en déshérence ?
C'est pourquoi ce livre se doit d'être offert, aujourd'hui plus qu'hier peut-être, à l'attention de chacun, pour que se prolonge l'Histoire, notre histoire, et que se perpétue ce superbe héritage.